Cet article de libération sur la timidité

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enochtlmn

il y a 25 jours

Timides ou intimidés, quand leur corps se met à trembler, il devient impossible pour eux de se dominer. Cette timidité maladive a pu commencer dans l'enfance ou plus tard, suite à un choc, une déception, un échec. Les manifestations corporelles sont parfois si handicapantes que pour certains, elles modifient le parcours de vie, voire changent l'orientation professionnelle. Aujourd'hui, Pierre (1), 51 ans, ingénieur du son à Paris, a senti la timidité le gagner lentement, à la trentaine, pour ne plus jamais le quitter.

«J'ai senti la timidité me gagner après la trentaine. Jamais avant. C'était même le contraire : enfant, puis ado, j'étais plutôt prétentieux. J'ai fait des études de musique, et parce que j'étais au conservatoire avec quatre examens par an, j'ai appris à faire face au trac. Ado, j'étais particulièrement sûr de moi, option gros con. J'étais prétentieux, parce que j'étais dans l'ignorance de la vie. A la fac, ça allait toujours très bien : à 24 ans, j'avais le Capes de philo, je pouvais travailler comme prof, ce que j'ai fait. Devant une classe, j'étais super à l'aise, ça me plaisait. C'est une période où j'arrivais à ne jamais me démonter dans les débats intellectuels. Je le faisais même avec une certaine morgue.

«Vers 28 ans, je me reconvertis et deviens chef de projet dans la communication. Soudain, la réalité d'une partie de ce métier me dépasse. Je suis face à des clients souvent désagréables, et où je suis tenu pour responsable de toutes les erreurs.

Ma fragilité commence à se manifester. Quand je me retrouve face à des clients exigeants, agressifs, je me démonte. Je ne sais pas comment gérer ça, et comme je ne sais pas me défendre convenablement, pour la première fois, je rougis. Une fois, je tremble tellement que je n'arrive pas à prendre des notes. Je me décompose, ça se voit, et je n'ai pas de moyen d'arrêter cette décomposition. '''Ce job demandait des compétences de commercial que je n'ai pas.

J'entendais parfois un collègue dire, sans aucune honte et avec une grosse assurance, beaucoup d'approximations pour arriver à ses fins. Je ne comprenais pas comment il arrivait à faire ça, à embobiner tout le monde rien que pour éblouir le client. Moi, je ne pouvais pas raconter n'importe quoi, mais ce métier, parfois, l'exigeait.

«La morgue, c'est quand tu ne connais rien au monde : c'est l'arrogance de la jeunesse. Ce que j'ai connu plus jeune, je n'étais plus capable de le mobiliser avec efficacité, une fois la trentaine dépassée. Le problème, c'est que quand on se montre aussi fébrile, ça sape la confiance globale. C'est comme si, une fois que je m'étais montré aussi fragile, ça a fait tache d'huile : ça m'a fait perdre tous mes moyens dans plusieurs domaines de la vie. J'ai encore changé de métier depuis, notamment à cause de ces problèmes de timidité.

Je suis devenu ingénieur du son, ce qui me convient beaucoup plus. Je pense que mon vrai moi, c'est d'être cet homme fébrile que je suis devenu, et pas le garçon arrogant que j'étais. Les leçons d'humilité que j'ai prises de manière assez violente, dans ces réunions, ça a fait pencher la balance fortement de l'autre côté. J'ai décidé de vivre avec, même si c'est une forme de souffrance.

«Quand je parle, j'ai le sentiment de ne pas être suffisamment juste dans ce que je dis. Je peine toujours, comme si j'étais toujours en-deçà de l'exactitude de ce que je veux dire. J'ai rarement envie de participer aux conversations, parce que ça me demande trop d'efforts. Ça ne m'empêche pas d'avoir une vie sociale, d'être en couple, je ne suis pas isolé ; mais je sais que ma timidité crée une barrière entre moi et le monde. Mais peut-être est-ce ce que je veux, au fond ?»