Ils ne se sont pas revus depuis près de quatre ans, et leurs retrouvailles, lundi 2 septembre à Avignon, s'annoncent terribles. À 9 h, dans une cour criminelle du Vaucluse entièrement réaménagée pour ce procès exceptionnel, Dominique Pélicot, un retraité de 72 ans, va faire face aux regards de Gisèle, 72 ans, son ex-épouse, qui a découvert après presque cinquante ans de mariage que son mari était un criminel sexuel hors du commun.

Des somnifères cachés dans la nourriture

Elle en a été à son insu le jouet et la proie, livrée, inconsciente à cause des somnifères qu'il cachait dans sa nourriture, à des dizaines d'autres hommes, qui l'ont violée dans leur chambre conjugale de leur villa de Mazan, près de Carpentras, pendant que son mari filmait et photographiait ces crimes, en y prenant énormément de plaisir.

"C'est un tsunami. Je me suis pris un TGV. Je me sens sale. Quand je prends une douche, j'y passe longtemps, car j'ai besoin de me laver, quand je pense à ces hommes qui violent une morte" dira-t-elle par la suite au juge.

Un site internet dévolu à toutes les dérives sexuelles

Et ce tsunami a balayé dans la foulée de l'enquête de la PJ d'Avignon et de Montpellier 50 autres familles, abasourdies d'apprendre que leur père, leur mari, leur frère, avaient participé à ces actes, après les avoir préparés, discutés et minutieusement mis au point sur un site internet dévolu à toutes les dérives sexuelles, sous couvert de libertinage. Coco.fr, puis coco.gg, sur lequel aucune modération n'était exercée, n'a pu être fermé grâce à une coopération judiciaire européenne que le 25 juin 2024. Selon le parquet de Paris, il était alors visé par plus de 23 000 procédures pour affaires de viols, d'agressions sexuelles ou de pédophilie.

83 scènes de viol, 11 suspects n'ont pas été identifiés

Ils seront donc 50, aux côtés de Dominique Pelicot, à être jugés pour ces viols aggravés subis par Gisèle entre 2013 et 2020, et qui n'ont pas tous été élucidés. Au total, 83 scènes de viols, mettant en cause 64 hommes, ont été retrouvées dans les archives informatiques des ordinateurs, disques durs et téléphones portables de Dominique Pélicot, qui gardait tout, pour mieux en profiter seul, chez lui, plus tard.

Onze suspects n'ont pas pu être identifiés, deux sont décédés avant leur arrestation, un est en cavale au Maroc. Les cinquante autres, dont certains ont abusé plusieurs fois de Gisèle, ont tous été incarcérés, avant pour certains d'être placés sous contrôle judiciaire.

Officier de pompier, journaliste, gardien de prison ou chômeurs

Ils ont entre 26 et 74 ans, la plupart n'étaient pas connus de la justice, et ils constituent un échantillon troublant de la population masculine française, avec comme point commun un attrait pour le sexe les poussant à être infidèles ou à passer beaucoup de temps sur internet, à perdre tout repère entre sites pornographiques et forum libertins. On y trouve un officier de pompier, que Dominique Pélicot a insisté pour filmer en uniforme, et qui a accepté, des infirmiers, des commerçants, un ancien gardien de prison, un journaliste, des chauffeurs routiers, des employés, des chômeurs. Dix-huit comparaissent détenus, dont deux pour une autre cause, trente-trois arriveront libres à l'audience. Tous encourent vingt ans de réclusion criminelle.

Certains ont reconnu les faits, d'autres affirment avoir été piégés par un jeu de couple assumé et partagé, dans lequel Gisèle faisait semblant d'être endormie.

"Je l'ai endormie, je l'ai offerte et j'ai filmé"

"Dominique Pélicot veut combattre les propos de ceux qui affirment que Madame pouvait être complice, consentante, et une actrice de ce jeu" insiste son avocate marseillaise, Béatrice Zavarro. "Depuis le début de sa garde à vue, il est dans la même logique de défense, qui est de tout assumer. Je l'ai endormie, je l'ai offerte, et j'ai filmé. Il assume sa responsabilité, et dit aux autres accusés d'assumer la leur. Ces profils de double vie existent pour beaucoup, il n'est pas un profil isolé."

Détenu à l'isolement depuis quatre ans, avec pour seule visite celle de son avocate, Dominique Pélicot dit avoir beaucoup réfléchi sur ses actes et sur son parcours, évoquant des viols subis à neuf ans comme point de bascule de ses dérives comportementales. Mais la part d'ombre de ce personnage passé jusqu'ici sous les radars judiciaires semble potentiellement immense.

Mis en examen depuis pour deux cold cases dont un meurtre

Depuis son arrestation, après avoir été surpris dans un supermarché de Carpentras en train de filmer sous les jupes des clientes, il a été mis en examen pour un meurtre accompagné de viol et une tentative de viol, commis à Paris en 1991 et à Villeparisis (Seine-et-Marne) en 1999, où déjà un produit chimique pour endormir ses victimes avait été utilisé.

Et le parcours de cet homme qui a été agent immobilier en région parisienne, puis électricien, est désormais passé au crible par le pôle cold-case de Nanterre, en quête d'éventuels autres rapprochements criminels.

"Comment voulez-vous que je me relève d'un truc pareil ?" se demandait pendant l'instruction Gisèle Pélicot.

Sensibiliser à la pratique méconnue de la soumission chimique

Elle est épaulée par ses enfants, et notamment Caroline Darian, créatrice d'un site pour sensibiliser aux dangers liés à la pratique de la soumission chimique à des fins sexuelles, largement méconnue, et illustrée en novembre 2023 par la mise en examen du sénateur Joël Guerriau. Elle compte aussi sur ce procès pour y parvenir, ayant finalement décidé de ne pas demander le huis clos, pour que le silence ne protège pas plus longtemps les 51 hommes qui l'ont violée, sans qu'elle s'en soit doutée un instant.