En ce jour d'été caniculaire, le village de Roquebrune, véritable mosaïque de petites ruelles pittoresques, bicoques ouvrières et maisons de maîtres, était en émoi.

En effet, depuis plusieurs semaines, de nombreux sangliers envahissaient les jardins et les champs de cette bourgade du fin fond du Lot, causant d'importants dégâts. Il se disait qu'on en avait même vu un débouler à toute vitesse dans une véranda entrebâillée, décidant la fin d'un repas dominical familial en renversant la table et tout ce qu'elle supportait.

Les habitants étaient furieux et demandaient que des mesures soient prises pour mettre fin à cette invasion, digne des raids barbares de temps immémoriaux.

Le maire, Monsieur Dassant, avait convoqué une réunion exceptionnelle de crise devant la mairie, aux yeux de tous, afin de trouver une solution. "Il faut agir vite et intelligemment avait-il déclaré. Les sangliers sont de plus en plus nombreux et ils menacent la sécurité de nos concitoyens. Nous devons prendre des mesures drastiques avant qu'un drame ne survienne." Le teint pâle, les cernes creusées et noires de cet homme, habitué à gérer ce village de trois-milles âmes à la petite semaine, décrivaient à eux seuls la gravité de la situation.

Les habitants du village, réunies devant le petit hôtel de ville par centaines en ce jour pas comme les autres, avaient proposé différentes idées, mais aucune n'avait semblé convaincre le maire dépité.

" Il faut faire appel à l'armée ! Un bon bataillon de légionnaire va régler tout ça fissa ! J'vous l'dit moi ! avait hurlé Monsieur Brigard. Ils sauront comment s'y prendre pour éliminer ces nuisibles et tout le village pourra fêter ça avec un banquet Gaulois ! Les broches vont tournoyer ! "

Mais le maire avait refusé cette solution. " Nous ne pouvons pas recourir à des méthodes aussi radicales, avait-il asséné. Il y a sûrement d'autres stratégies, moins cruelles, pour arriver à nos fins."

Au milieu d'un brouhaha notable, il était difficile de percevoir des solutions envisageables, la panique gagnait peu à peu l'assemblée et le maire eu du mal à calmer les esprits.

C'est alors que Jade, une jeune étudiante en biologie, avait pris la parole. "Je crois que le problème ne vient pas des sangliers eux-mêmes. Ils ont un comportement inhabituel en cette période de l'année, ils ne viennent même pas pour voler de la nourriture ou trouver de l'eau, ils ont l'air simplement enragés et prêt à tout détruire !»

Il n'en fallu pas moins à l'auditoire pour repartir dans une furie de cris et de gestes pour le moins inquiétants.
« Voilà qu'elle va revenir avec ces théories animalistes à deux francs six sous celle-là ! Retourne sur les bancs de l'école petite et laisse faire les grands ! » avait crié madame Privat, la poissonnière du village. « Tu vas nous expliquer quoi ? que les sangliers ont une âme et sont triste et qu'il faudrait les inviter à manger à notre table pour ne pas les vexer ?
"Il suffit ! Laissez donc Jade s'exprimer. Nous ne devons éluder aucunes idées et je pense que cette jeune fille, au vu de sa spécialisation en comportement animal, est tout à fait à même de donner son point de vue. » Après ces mots, le maire avait laissé poursuivre l'étudiante sous les regards ébahies de la vielle garde du village.
« Merci Monsieur le Maire. Je disais donc que les sangliers qui accourent dans notre village n'ont absolument pas un comportement normal. Il est vrai que ce mois de juillet est particulièrement chaud et sec, que les réserves d'eau et de nourriture sont moindre pour ces suidés. Mais normalement, en période de disette, la laie réduit ses chaleurs et régule d'elle-même les populations pour qu'il n'y ai pas de déséquilibre. Sur ce point, la faune sauvage est bien plus évoluée que nous. Il se trouve que l'un de mes travaux pratique de l'année consiste à recenser à l'aide d'outils professionnels fournies par la fac les naissances des sangliers dans un périmètre donné. Et ces dernières explosent ces temps-ci. Du jamais vu en cette période pour la région, on est à plus trois cents pour cent… »
A ces mots, exposés de façon claire et quasi-scientifique, même les plus hardis des habitants étaient maintenant pendues aux lèvres de la petite brune aux yeux émeraude. Tout le monde attendait la suite, mais Jade ne parlait plus.
« Et bien chère enfant, merci pour cet exposé fort à propos mais vous nous laissé un peu sur notre faim, quelles sont vos hypothèses ? »
Elle se rapprocha du Maire, se collant presque à son oreille et lui dit à voix basse : « j'ai plusieurs pistes, mais celle qui me parait la plus probable est pour le moins compromettante. Je ne pense pas que toutes les oreilles seraient prête à entendre ce que j'ai à dire. »

SWEET ?