"Hein quoi? ah merde c'est l'heure.. 3h35.. l'usine"
15 messages
Mise à jour: il y a 7 mois
Nsuqqbay
il y a 7 mois
En général peu de gens disent bonjour. On s'en branle on veut juste que les 8 heures d'enfer se terminent le plus rapidement. Travaillant dans l'agro, je dois porter un pantalon en coton blanc ainsi qu'une veste en coton blanc. Je me dirige vers les cintres ou sont rangés les habits propres et comme d'habitude, rien à ma taille. Je suis de taille normale et de poids normal mais les habits à ma taille sont soit troués ou volatilisés, merci aux cons qui prennent 3 chemises et 3 pantalons puis qui les planquent dans leur casier. Du coup je me retrouve avec un futal qui traîne par terre et une chemise qui me sert de voile, je suis grotesque.
J'ai aussi mes chaussures de sécurité bien sûr, inconfortables au possible et qui défoncent le dos.
Je passe devant les chiottes, je quitte les vestiaires puis je pointe. Prise de poste à 4h30 mais je dois arriver à 4h25 afin que le collègue avant moi me donne la relève. Souvent la journée se passe normalement, des fois c'est la merde et dans ce cas la je suis tout seul à gérer des pannes, des commandes à rattraper ou d'autres trucs chiants.
Si je devais résumer mon travail ce serait : courir partout dans l'atelier et courir encore plus quand ça merde. Rien de plus. Je m'occupe de 4 lignes de production, je dois avoir l'oeil sur tout et à tout moment, parfois je fais de la manutention. C'est très chiant et aliénant, personne ne parle car il y a trop de bruit dans l'atelier.
De toute façon de quoi parler et avec qui ? On parle souvent de la boucle sur ce forum mais la plus grosse boucle c'est l'usine et de loin. Les mecs qui viennent la tous les jours depuis des années sont atteints mentalement. Je les estime mais ils ont un grain. Certains n'ont qu'un seul sujet de conversation, leur jardin, leurs achats (la plupart sont de gros consuméristes), les voitures ou les jeux vidéos. Ça s'arrête la. Des fois on rencontre des gens intéressants et assez malins, on se demande comment ils ont pu atterrir ici, dans ce merdier.
Les pires sont ceux qui ne parlent QUE de l'usine, c'est rare mais c'est le cas de certains, si on a le malheur de les rencontrer au café ou au supermarché, ils parleront des pannes, des commandes à venir, des erreurs commises par tel ou tel employé, de la conjoncture économique dans l'industrie agroalimentaire (des remarques qui ne viennent pas d'eux mais qu'ils répètent sans cesse et de jours en jours).
Nsuqqbay
il y a 7 mois
Du coup j'attends la pause, et je pense. Je pense énormément car c'est la seule chose à faire. Je pense à Karl Marx et au surtravail, je pense aux gamins dans les usines d'allumettes au XVIIIe siècle en Angleterre, je me dis que c'est pas si mal ici finalement.
Puis je pense à mes collègues du lycée, certains sont ingénieurs, d'autres profs, d'autres sont partis en médecine et je me dis que je devrais en finir. Je pense à une fille en particulier qui est en 6e année de médecine. La question du déterminisme m'obsède et me terrifie. Et si j'avais fait si, si à ce moment là j'avais fait ça est ce que j'aurais pu ...? Souvent je me dis, non. Trop pauvre, trop moche, trop faible, trop con, trop prolo.
J'aurais pu lancer les dés 100 fois de suite j'aurais tout de même fini ici dans cette usine atroce, et elle aurait toujours finie pédiatre et dans les bras de son bg 8/10.
8h20 je taille en pause. Mon poids a tendance à chuter dangereusement depuis que je suis à l'usine, alors je mange beaucoup contrairement à certains. Je me tape souvent des réflexions amicales des boomeurs matrixés "eh bah je t'emmènerai pas au resto avec moi!" ou encore "tu vas dormir tout à l'heure avec tout ce que tu manges". Je mange vite, je suis crevé, j'ai envie d'hurler et de pleurer. J'ai envie d'attraper mon voisin par le col, de le secouer et de lui dire "pourquoi on est la? Pourquoi on subit ça ??? C'est donc CA notre existence?"
Retour au boulot, rien de nouveau rien de surprenant, vivement midi trente que je me casse. Une fois l'heure arrivée je passe la relève à mon collègue, je lui souhaite bon courage et je taille, je me change en vitesse puis je sors. Lorsqu'il fait beau le soleil me fait mal aux yeux.
J'arrive chez moi, je dois préparer à bouffer mais j'ai qu'une envie c'est de mourir sur mon canapé et c'est ce que je fais souvent, du moins jusqu'à 14h. Le reste de l'après midi je somnole, comme lors d'un réveil après une anesthésie générale. Des fois je vais faire les courses, le reste du temps je reste chez moi. Je suis trop crevé pour go muscu, je ne connais personne et n'ai personne dans ma vie. Le week end est identique à la semaine sauf que je suis moins fatigué.
Le seul point intéressant est le fric, je gagne pas loin de 2k net par mois et je dépense peu : bouffe, clio de prolo, location de prolo, alcool et c'est tout. Du coup je fais comme mes collègues : je consomme.
En ce moment j'achète des fringues, ça ne me sert à rien car je ne sors jamais, mais j'ai toujours aimé porter des vêtements qui me plaisent, alors j'achète. Lorsque je reçois un colis je me sens heureux et pendant 15 minutes j'oublie presque ma vie misérable d'usiniste dépressif.
Le début de soirée est souvent alcoolisé, ça m'aide à m'endormir. Sous ma couette je rêve d'une autre vie ou d'un cataclysme nucléaire vaporisant toute forme d'existence sur Terre, puis je culpabilise, me disant que les autres n'ont pas une vie aussi merdique et méritent davantage de vivre que moi.
C'est ainsi que se poursuit ma vie, plate et sans saveur, aliénante, frustrante et déprimante. C'est ainsi que fonctionne l'industrie.
Demain ce sera pire.
Nsuqqbay
il y a 7 mois
Ce n'est pas de moi, mais j'ai bien aimé donc je partage, peut-être déjà vu pour certain
Da_Todi
il y a 7 mois
Pour avoir tapé à une époque du 7h-15h, du 5h-13h, dans une fonderie et sans une usine de salaison de charcuterie, je confirme que c'est à devenir suicidaire. J'ai tracé avant de me laisser entraîner dans cet enfer heureusement. J'en connais qui y sont resté, deux sont morts, un chez lui pendant une soirée avec des amis, l'autre mort en s'effondrant dans l'usine terrassé par un arrêt cardiaque dans sa quarantaine.
rasgghril_
il y a 7 mois
Terrible récit mais criant de vérité sur la vie et les conditions de travail à l'usine
JVC-Censure228
il y a 7 mois
Ce n'est pas de moi, mais j'ai bien aimé donc je partage, peut-être déjà vu pour certain
J'ai tout lu, enfoiré j'allais te soutenir. Bah va te faire mettre.
fatimabardella
il y a 7 mois
J'ai fait 1 mois et demi dans une usine d'eau en intérim. J'étais halluciné de voir l'état des mecs en poste depuis 30 ans, leurs conversations, leurs trains de vie. J'ai vu des jeunes qui étaient ici et avaient de l'ambition pour se faire une bonne place.
Ça m'a profondément désespéré et j'ai vite compris que ce n'était pas ma place. Un jour le mec qui traitait avec l'agence m'a dit que mon contrat arrivait a terme mais qu'il allait demander à l'agence de me faire revenir. Je lui ai dit que c'était pas la peine. Je me souviendrai toujours de son regard et de sa réaction.
Plus jamais je n'ai remis les pieds là dedans.
Terminator
il y a 7 mois
Pas lu et je lirai même pas un resumax
__le_banni__
il y a 7 mois
C'était presque ma vie à une époque...
Puis j'ai connu durant quelques années un bonheur incroyable !
Avant que tout ne s'effondre, l'idée de retrouver sa misérable condition antérieur est si intolérable, la souffrance me fait perdre pied...
Aujourd'hui, il n'y a que ma lâcheté entre moi et le suicide...
TedConjecture
il y a 7 mois
Je mets de coté l'aspect témoignage mais j'aime beaucoup l'ambiance de ce pavé, aussi déprimante soit-elle
Merci l'auteur
Okinareas
il y a 7 mois
Au lieu de mettre fin à tes jours tu peux tout plaquer et devenir nomade ou tenter de reprendre des études par exemple.
Go passer un diplôme, entrer dans l'armée ou je ne sais quoi.
Nsuqqbay
il y a 7 mois