Je vais surprendre, mais je pense que dans un libéralisme façon XIXe siècle, Free n'aurait pas existé. Du moins, pas tout de suite.

En gros, ce qui a distingué Free des concurrents vient certes d'une excellente stratégie commerciale. En proposant des prix cassés pour des services modestes mais parfois suffisants pour des gens qui n'avaient pas une grosse vocation à utiliser le téléphone
Par exemple, un forfait Free à 2€ pouvait parfaitement convenir à un jeune qui disposait déjà d'un ordinateur fixe et portable s'il disposait chez lui d'un bon réseau Internet. Ca convenait aussi très bien aux personnes âgées.
De même, conscients de pas être pleinement à la pointe, ils ont réduit suffisamment la qualité du service sans le saborder pour autant. Ils ont trouvé, même si c'est un contestable, un équilibre parfait entre l'économie et la performance.

Mais ce qui a rendu ça possible, et c'est sans doute là où Niel fut fourbe, c'est concernant la gestion des réseaux.

On l'oublie souvent, mais les activités de réseaux, c'est justement une titanesque contradiction du libéralisme dans la mesure où le produit est inhérent au réseau lui même.
En gros, normalement pour un commerçant, il a pas forcément besoin de "vendre" lui même son produit, il peut passer par un intermédiaire et ainsi de suite. Coca, Lays et autres marques alimentaires par exemple n'ont quasiment pas leurs propres magasins, tout est en grande surface.
Mais pour du réseau, c'est autre chose, puisque le produit ne peut être délivré que par le réseau qui, pour des raisons notamment techniques, ne peut pas être illimité. Sans compter les risques que cette concurrence de réseau nuise au consommateur. Ce qui est arrivé avec A&T aux US dans les années 1900 avec le développement du téléphone. Pour faire court, imaginez si aujourd'hui, les Android ne pouvaient pas appeler des Iphone ou si votre ordinateur fonctionnant via Microsoft était obligé d'utiliser Internet Explorer (on rit, mais ça a failli arriver jusqu'à ce que la Cour Suprême castagne Gates). A l'inverse, imaginez maintenant des dizaines de voies ferroviaires dans votre ville si la SNCF, en tant que propriétaire des voies, disaient à tout le monde d'aller se faire voir pour s'en servir, mais que l'Etat décidait lui d'en avoir rien à foutre.

Dit autrement, puisque le réseau se doit d'être "unique", et qu'il ne peut y avoir en conséquence qu'un propriétaire, il revient à l'Etat d'organiser la chose. Soit en s'accaparant lui même le réseau et en décidant qui a le droit de distribuer sa prestation dessus, soit en en faisant une chose commune, auquel cas le réseau n'appartient à personne et l'Etat en demeure souvent le simple gérant (ce qui revient plus ou moins au même, si ce n'est que l'Etat a plus de chances de se faire du fric sur le premier mais que le second peut faciliter le privé pour moduler son produit et son offre dans les très grandes lignes, les deux imposent toutefois de la régulation).
S'il le fait pas, la domination du marché ne relèverait pas de celui qui propose la meilleure offre, mais plutôt de celui qui est juste le propriétaire. Qui peut s'imposer via la concurrence à la base, mais une fois cette dernière éliminée, il obtient un monopole total et limite éternel, ou du moins, qui dure jusqu'à ce que l'entreprise s'écroule.

Bref, concernant les réseaux, tout a été libéralisé dans les années 2000. Si l'Etat n'était plus propriétaire de réseaux téléphoniques depuis la privatisation de France Telecom, bien qu'il ait toujours des parts de marché dans Orange, la plupart des réseaux mobile à l'époque appartenaient aux opérateurs historiques: Orange, SFR et Bouygues.
Pour que Free intègre le marché, il n'y avait que deux solutions:
- Créer et développer son réseau
- Utiliser le réseau d'autrui en payant un droit de passage

Et c'est ce qu'il a fait en utilisant, à l'origine, le réseau Orange pour la 2G et la 3G. Pour respecter la libre-concurrence, Orange pouvait pas utiliser sa position pour refuser catégoriquement et envoyer chier Free. Mais en contrepartie, Free pouvait pas profiter du réseau d'Orange à titre gratuit, ce qui reviendrait à une forme de squat.
Ben ouais, installer un réseau, ça se finance aussi et c'est logique que Free paie sa part.
A noter qu'encore aujourd'hui, Free utilise les réseaux 2G et 3G de Orange.

Et Niel a juste suffisamment bien négocié ses droits d'accès pour envoyer Orange directement dans les cordes, en payant ce qu'il faut pour que ce soit pas du vol mais à un prix suffisamment bas pour ne pas gérer toute la charge qu'il devait s'acquitter. Ce qui, en prime, lui a permis de rapidement investir dans la 4G où il a toujours eu une certaine avance.
C'est pour ça que je mettrai une certaine nuance: j'irai pas jusqu'à parler de "vol", mais Niel a malgré tout profiter parfaitement du système en laissant ses concurrents s'engluer. Mais seulement car on oblige ces derniers à ne pas abuser de leur situation.
Or dans un système purement libéral, la deuxième option serait pas obligatoire et la concurrence serait d'office faussée.