C'est au bout d'une semaine que j'ai compris que Giuseppe était bien réel
Il n'est pas dans les registres officiels. Son dossier médical est classé, protégé par des accès que même les médecins ne peuvent consulter. Mais à force de tendre l'oreille, d'écouter les conversations à la pause clope, d'intercepter des notes, j'ai compris
Giuseppe Bakara Fentanyl Abou Naboleon n'est pas un patient comme les autres
On ne l'appelle jamais par son vrai nom
Certains disent "Le Monstre"
D'autres "Le Brisé"
Moi, je l'ai vu. Une nuit où j'étais de garde
Sa cellule est un bloc de métal. Une prison dans la prison, une cage hermétique entourée d'acier renforcé. Il n'a pas de fenêtres. Juste une fente, par laquelle on glisse ses plateaux-repas et ses cachets
Je m'attendais à voir un fou furieux, un déchet humain délirant dans sa camisole. Mais ce n'était pas ça. J'ai croisé son regard à travers l'œilleton. Il était là, assis sur son lit, immobile
Et il m'a vu
Pas comme un simple patient regarde un infirmier. Non
Il m'a VU
Comme s'il savait exactement qui j'étais
Et lentement, sans bouger les lèvres, il a murmuré quelque chose
Un son sans voix, une vibration sourde qui s'est imprimée directement dans ma tête

BA FA AH NA.

Un frisson glacé m'a remonté l'échine
J'ai reculé, j'ai refermé la trappe et cette nuit-là, j'ai compris que Giuseppe n'était pas un simple interné.
C'était un point d'origine. Un nœud dans un réseau invisible, le centre d'une anomalie dont l'asile entier était la membrane extérieure. Et moi, en acceptant ce poste, je venais de traverser cette membrane