Je ne sais rien de tes luttes, bien sûr, rien de l'intimité grouillante qui te remue le ventre, mais je connais ces remords, ces nuits sordides à craindre pour soi, à se penser si chétif et démuni contre les cruautés du jour, à se croire sans arme contre ce qui nous est fait, je sais m'en faire une idée exacte, oui, mais il y a toujours dans ces crasses, dans ces chars d'immondices, la possibilité du meilleur, car il est en chacun de nous, au creux de notre viande décharnée, bien enfouie dans nos tripes, une réaction d'orgueil, un feu brusque, qui s'allume par un mot, un regard, il suffit de ce petit rien, de cette grâce, pour s'armer décemment, et à perpétuité, contre le néant, une parole, un voyage, peuvent lever des armées féroces contre nos ombres, oui nos luttes seront sans armistice, injustes, nos vies obliques et difficiles, mais les déserter serait le plus grand crime à commettre contre nous, car voilà que nous perdrions, peut-être, la plus sublime vertu qu'elles nous autorisent, la dignité de vivre, jusque dans les fanges les plus odieuses, dans la nuit et la boue la plus noire, nous continuerons à vivre, cassés et branlants, jusqu'au dernier terme de nos jours, le combat tient à cela, le tien aussi, je le crois, mais rien ne t'oblige à le vivre seul, si tu me lis, alors, où que tu sois dans ton néant, sache que j'ai une chambre libre