L'explication basique voudrait qu'une partie du film ne soit qu'une fantaisie ou un rêve dans lequel Diane, la protagoniste, s'invente une histoire d'amour alternative. Dans cette romance imaginaire, elle aurait une toute autre identité, celle de Betty, et elle pourrait y retrouver son ex Camilla qui, elle aussi, aurait dès lors une autre identité construite ex nihilo suite à une amnésie, celle de Rita. Cette fantaisie serait la résultante de la culpabilité de Diane qui s'en veut d'avoir engager un tueur professionnel pour liquider son ex, Camilla.

C'est une lecture assez superficielle, en réalité.

Parce que le véritable sujet de “Mulholland Drive” et l'angle par lequel il faut l'étudier, c3st celui du “casting couch” (souvent traduite par “promotion canapé”), cette pratique qui consiste à coucher donc se prostituer pour obtenir des rôles à Hollywood. Betty est Rita, Rita est Camilla, Camilla est Diane, Diane est la source de toutes ces identités.

Camilla représente la partie en Diane qui s'est prostituée pour atteindre le succès. Diane a échoué. Camilla est donc une sorte de prostituée de luxe qui a réussit, d'où le ressentiment de Diane envers elle. La fantaisie qu'elle a tenté de construire avec Betty et Rita représentait la possibilité de repartir à zéro: pour Diane, il fallait se réconcilier avec cette partie sombre d'elle-même pour retenter le coup et espérer réussir à Hollywood cette fois-ci.

Notez que la première fois que Betty et Rita couchent ensemble, Rita passe du CANAPÉ au LIT. Or la seconde fois, quand le premier niveau de rêve s'est désintégré, Diane essaye de forcer Camilla à baiser sur la CANAPÉ. Sauf que cette fois, Camilla la rejette. Elle n'a rien à y gagner, elle préfère “l'autre mec”, le réalisateur. Parce que lui, peut lui offrir ce qu'elle veut.

Je simplifie énormément mais repenser aux événements du film à travers cette grille de lecture : tout semblera plus clair. Seize ans avant “MeToo” et l'affaire Weinstein, Lynch dénonçait le traitement des femmes à Hollywood.

"Silencio", c'est le silence imposé aux actrices. Quand Betty convulse, c'est parce que cette innocence que Diane pensait pouvoir restaurer vient de s'évanouir face à la "réalité" de cette horreur. L'ironie étant bien sûr que la réalité est dévoilée lors d'une représentation théâtrale et musicale qui joue avec la perception des artifices.