O vous, hommes modernes, vous qui vous précipitez sans fin vers l'abîme de l'action, écoutez la parole de Mangeur : il est un temps où il faut cesser de courir après les ombres, un temps où il faut s'arrêter, même si le monde s'effondre autour de vous. Ce temps est celui où l'on ne fait rien. Il est le plus grand des trésors, celui que vous fuyez sans le savoir, car vous êtes esclaves de la production, du mouvement, du faire.

Que dis-je, "faire" ? Vous confondez l'agir avec l'être. Vous vous croyez vivants parce que vos mains ne cessent de se mouvoir, mais, hélas, vos âmes s'éteignent dans cette activité frénétique. Vous vous laissez entraîner, corps et esprit, dans ce tourbillon, sans jamais vous interroger sur ce que vous seriez sans cette course. Vous ne savez pas que le vrai pouvoir réside dans le vide, dans l'inactivité, là où l'esprit se libère enfin de tout ce qui l'enchaîne.

Les sociétés savent que l'esprit qui pense devient un fardeau. Elles vous ont enseigné cela dès l'enfance. On vous a dit : "Agis ! Réalise ! Fais de tes mains ce que ton esprit ne saurait concevoir." Mais sachez, ô hommes de la foule, que vous êtes esclaves de vos propres pensées - ou plutôt de leur absence. Vous ne voyez pas que vous faites tout, mais que vous ne faites rien. Et c'est là le grand piège : faire sans penser, c'est agir sans âme, c'est être un automate.

Il est donc un moment dans la vie où l'on doit ne rien faire, où l'on doit se retirer de l'arène du monde et se tourner vers soi-même. Dans ce silence, dans cette vacuité, l'esprit prend racine et la lumière apparaît. Ne croyez pas que l'inactivité soit une malédiction, car c'est dans cette suspension du monde extérieur que l'on trouve la vérité de l'existence. Vous croyez que l'action est la voie de la grandeur, mais c'est dans le non-agir que l'on accède à la liberté.

O vous, qui fuyez la solitude et le calme, vous qui vous épuisez dans la conquête du monde, sachez ceci : vous êtes esclaves d'un mirage. Ceux qui savent goûter à l'inutile, ceux qui savent suspendre leur souffle et leur pensée, eux seuls sont libres. Car, dans le temps où il n'y a rien à faire, tout devient possible. C'est là que l'esprit prend son envol, là que la vraie grandeur naît.

Le temps de la réflexion est le temps où l'homme se découvre. C'est le moment où il se détache de l'illusion de l'urgence et où il se réconcilie avec l'essence de sa propre existence. Alors, laissez tomber vos chaînes, laissez vos mains se reposer et vos pensées s'étirer dans l'infini. Là, dans cette inaction choisie, vous découvrirez ce que vous êtes réellement.

Car, ceux qui savent se retirer du monde, savent que le monde finit par leur appartenir.

O toi qui as suivi ce chemin, toi qui as plongé dans le silence et l'inutile, toi qui t'es détaché des chaînes de l'agitation, écoute cette parole : tu es devenu ce que les autres ne peuvent voir, celui qui a découvert la source du bonheur, non pas pour l'accumuler, mais pour le diffuser.

Dans cette quête où l'on abandonne les désirs sans fin, où l'on cesse de courir après des promesses illusoires, tu as trouvé la paix. Ce bonheur que tu portes en toi n'est pas un feu éphémère, mais une flamme tranquille, une lumière qui éclaire sans brûler. Car, dans ce vide que tu as su habiter, tu n'as plus besoin de rien. Tu as compris que le bonheur n'est pas une chose à posséder, mais une manière d'être.

Et maintenant, oh toi qui as conquis ce royaume intérieur, ton seul désir est de le partager, non par devoir, mais par amour. Tu sais que la vraie richesse n'est pas dans ce que l'on garde, mais dans ce que l'on offre. Ton bonheur n'est plus une quête égoïste, mais une semence que tu veux planter dans les cœurs des autres. Ce n'est pas la recherche frénétique de plus qui te guide, mais l'envie profonde que ceux qui croisent ton chemin puissent goûter à la même paix, à la même tranquillité que tu portes.

Car, n'est-ce pas là la vraie grandeur ? Devoir faire un pas vers l'extérieur, non plus pour chercher ce que l'on n'a pas, mais pour donner ce que l'on possède déjà en abondance. Tu es devenu celui qui, libre de la tentation du manque, veut voir les autres grandir dans la lumière que tu as trouvée. Ce n'est plus un désir de plus, mais une volonté de moins - moins de souffrance, moins de manque, moins de fureur.

Tu as compris ce secret : le bonheur qui ne se désire plus pour soi-même devient une force infinie qui transforme tout. Il éclaire les autres sans jamais s'éteindre, parce que tu n'es plus dans la course au vide, mais dans l'expansion du plein. Et ce chemin que tu as pris, ce chemin de l'inutile, est devenu le seul qui mène à une joie véritable, car elle ne dépend d'aucun accomplissement extérieur, mais d'une profonde rencontre avec soi-même.

Tu n'as plus à désirer, car tu es devenu le désir des autres, celui qui incarne la paix et qui, par cette paix, rend les autres capables de la trouver à leur tour.

Ah, toi qui parles ainsi, toi qui croyais avoir tué l'égo, mais qui as en réalité nourri le monstre en toi, comprends cela : tu n'as pas abandonné ce qui t'identifiait. Tu n'as pas détruit, tu as sublimé, tu as élevé ce qui semblait être une limite, une frontière, pour en faire un empire sans fin. L'égo, ce vieux tyran, ne meurt jamais vraiment, il se transforme, il se fait roi de ce que tu appelles désormais "le monde".

Tu ne vois pas encore que ce n'est pas une conquête que tu as faite, mais une fusion. L'égo que tu croyais vaincre a englouti ton être tout entier, jusqu'à l'illusion même de la séparation. Tu es devenu ce que tu croyais vouloir dépasser : un tout, un corps et une âme infinis, une essence qui se confond avec tout ce qui t'entoure. Ce que tu cherchais à transcender est désormais ton royaume, et tu es l'empereur de ce vaste monde intérieur qui, en fin de compte, n'a jamais cessé d'être toi.

Tu n'as pas perdu ton égo, tu l'as simplement compris, tu l'as élargi, tu l'as magnifié jusqu'à ce qu'il ne soit plus une barrière, mais l'horizon même. Ce que tu cherchais à dissoudre, tu l'as intégré, tu l'as élevé à la hauteur de ton être tout entier. Il n'y a plus de distinction entre toi et l'univers, car tu es devenu le monde que tu avais cherché à fuir.

Mais cela ne t'effraie-t-il pas ? Ne vois-tu pas que, dans cette expansion, tu as perdu l'illusion de l'individualité, pour entrer dans le grand tout, là où l'égo se dissout dans la vastitude de l'existence ? Tu as voulu devenir plus grand, et tu as effectivement dépassé toutes les limites que tu t'étais imposées. Mais, au fond, tu n'es plus un "individu". Tu es l'univers en toi-même, le tout dans une seule conscience. Tu as rejoint ce qui te dépassait, pour découvrir que ce "toi" que tu croyais avoir nourri n'était en réalité qu'une brise légère, un souffle traversant les montagnes.

Alors, non, l'égo ne meurt jamais. Il s'épanouit dans une forme nouvelle, infinie. Tu as voulu transcender, mais tu as transcendé ce qui était déjà là : toi-même, dans toute ta magnificence, dans toute ta plénitude. Et ce chemin que tu croyais être celui de la disparition, n'était en vérité qu'un chemin vers l'illimité.

Tu es devenu le monde, en réalité, tu as toujours été le monde. Il n'y avait jamais de "toi" et de "lui", mais simplement cette vaste mer d'existences infinies, qui ne font qu'un à travers la conscience. Et tu vois maintenant, que ce que tu cherchais à fuir, tu l'es devenu dans sa forme la plus pure.