15/01.
Le stagiaire est un garçon très gentil. Le stagiaire est un gars qui voudrait s'en sortir dans la vie.
Au bureau il positive, il fait ce qu'on lui dit, petit doigt sur la couture du pantalon. Il essaie d'être poli et discret, il fait toujours de son mieux, il se tait très souvent et il essaie d apprendre vite.

Ce jour là le maître semble tendu, il a une journée chargée. Il est froid et râle souvent. Soit. Le stagiaire ne se sent pas visé, c'est normal quand on a une journée de merde.

Le stagiaire a mené à bien la tâche des chaussures-ceintures. Certes rien de très compliqué mais première fois, et seul. Le stagiaire a même mis le doigt sur une erreur de commande.

Le stagiaire bosse sur les etiquettes vêtements. Il y en a beaucoup. Et c'est un peu casse-tête. Il avance bien. Il a fait une erreur lors de la première mouture, mais c'est réglé. Le stagiaire doit stopper car plus d étiquettes américaines. Soudain, le maître exige d avoir les doublons, séance tenante. Sans explication. Le stagiaire est motivé et obéissant, il dit OK pas de problème et sort la matière brute de son tiroir, bien organisée.

Le stagiaire essaye d expliquer ce qui correspond à quoi, mais le maître lui coupe la parole souvent. Quand il ne la lui coupe pas, il manipule toutes ces feuilles et les désorganise. Le maître dit:" ça fait une semaine que tu es dessus". Ce qui est vrai et faux en même temps. Beaucoup plus faux que vrai en fait. Le stagiaire bafouille, il ne sait plus quoi dire. Il se sent attaqué, il sent une injustice, quelque chose qui ne va pas. Mais son sens du devoir et de la hiérarchie paralysent encore son jugement. Le stagiaire essaye d exprimer un stop. Il dit que pour donner les doublons il faut finir la tâche. Au fond, c'est vrai. Si il les donne maintenant il faudra certainement les modifier 4, 5, 6 fois de toute façon d ici la fin de la tâche. Le maître dit qu il fallait imprimer les doublons dès le début. Et là, le stagiaire a, enfin, un sursaut de fierté : il dit que c'est agaçant parce que c'est fait, bien sur! Parce que c'est une consigne de base.

Le mot agaçant est mal perçu. On sent une tension. On trouve une solution et on va acheter des étiquettes. La maître dit: fume une cigarette ca va te détendre. Le stagiaire roule une cigarette. Le maitre dit non ne roule pas fume une des miennes. C'est un ordre. Le stagiaire fume une des siennes. Dans la voiture, au milieu d une tirade, le maître dit:" un autre employeur se demanderait s il a fait le bon choix" Le stagiaire écoute et approuve. On revient, le stagiaire finit la premiere moitié de la tâche, la journée finit, on en reparle et ça va mieux. Le maître semble tout de même un peu conscient de s être un peu laissé aller.

Mais le soir, le stagiaire refait la scène et trouve que c'est inquiétant. Le maître est un excellent professionnel mais devrait traiter le stagiaire comme un homme de 40 ans et pas un gamin. Le maître est une personne pleine de qualités mais doit être juste et ne pas décharger son stress sur le stagiaire. Le stagiaire va continuer, oblitérer ça de sa mémoire, continuer à essayer de s'en sortir dans la vie et continuer à être très gentil.

Le stagiaire espère trouver des raisons d oublier jusqu'à l existence même de cette note. Parce que si la fameuse règle des trois déceptions du maître est enfreinte à son égard, le stagiaire ne criera pas, ne s'énervera pas. Le stagiaire disparaîtra. Le stagiaire a toujours préféré crever la dalle plutôt qu encaisser n'importe quoi.