Vous devenez, assis dans ce train, dans ce bus, d'une humanité dépravée, c'est une profession de foi, une confession, oui, vous serez désormais un déclassé, dans ce taudis boiteux, vous y sentez toute la pauvreté des âmes, leurs sales fragrances, ah leur politesse étrange, ces éclats de voix, ces corps avachis, ils voyagent comme vous sans grâce, alors, dans ces abîmes, vous cherchez à vous aménager un petit exil, vous privatisez un siège, une couchette, vous êtes tout roulé sur vous-mêmes, votre écharpe vous nimbe comme un plaid, vous auriez presque chaud, dans cette nuit roulante, vous y seriez presque confortable, sans cet enfer des autres, de tous ces marginaux, de ces mendiants, et pourtant, pourtant, vous auriez si tort de pester contre eux, car vous voici voisins, frères, dans ces destinées trop pauvres, il se dessine entre eux tous, dans cet instant, une fraternité des misères, votre sort est commun, oui, vous le partagerez jusqu'à l'aube, mais la nuit, dans cet instant, vous éclaire bien, il n'y a rien à fuir, pas de cachette, tout est bien net, devant vous : vous n'avez pas un rond, pas un secours, vous voyagez là car vous n'attendez plus aucune main tendue, marche ou crève, voilà donc notre cri jusqu'au matin