Maurice Berger: «La violence intériorisée par les jeunes devient constitutive de leur identité»

Par Eugénie Bastié

Photo d'illustration. «Les mineurs commettent de plus en plus jeunes des violences de plus en plus importantes, avec un fort sentiment d'impunité», selon Maurice Berger. PHILIPPE DESMAZES/AFP
ENTRETIEN - Pour le pédopsychiatre, cette situation est inédite parce «qu'il ne s'agit plus de montrer qu'on est le plus fort en tabassant, en humiliant, il faut anéantir l'autre».
Maurice Berger est pédopsychiatre, auteur de Sur la violence gratuite en France. Adolescents, hyperviolents, témoignages et analyses(L'Artilleur, 2019).
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LE FIGARO. - On constate ces derniers temps la multiplication de violences entre jeunes appartenant à des bandes rivales. Cette violence a-t-elle, selon vous, tout au moins par certains de ses aspects, un caractère inédit? En quoi? Est-ce par manque d'empathie?
Maurice BERGER. - L'aspect ethnique ou tribal du territoire de la bande est nouveau, ainsi que le fait de frapper jusqu'au bout. Il ne s'agit plus de montrer qu'on est le plus fort en tabassant, en humiliant, il faut anéantir l'autre. Cette absence de retenue «finale» est en lien avec une absence totale d'empathie, indifférence à ce que ressent l'autre qui entraîne une absence de culpabilité. Les agresseurs n'ont littéralement «rien à foutre» de ce qui est arrivé à la victime, fût-elle morte. C'est très déstabilisant pour les professionnels.
Certains attribuent la montée des violences aux réseaux sociaux et à la virtualisation qu'ils imposent. Cette explication vous convainc-t-elle? Quel est l'imaginaire de ces jeunes?
Les réseaux sociaux peuvent faire monter la tension d'une manière telle qu'on doit relever le défi aux yeux des autres, c'est une question d'honneur. Et les jeux vidéo violents, les images sur le net visionnées pendant des heures sans référence à la loi et sans empathie de la part des personnages peuvent aussi influencer un esprit non habitué à développer un sens critique. D'autant plus que beaucoup de mineurs violents ont un niveau intellectuel faible. Mais, en fin de compte, l'impact dépend de la capacité préexistante de faire la différence entre réel et imaginaire. Ces sujets n'ont pas de capacité de rêverie, on n'a pas joué avec eux petits et ils n'ont pas développé le «faire semblant». L'image remplace l'imaginaire, car leur esprit est vide. Ils rencontrent le même vide relationnel à la maison: ils regardent internet sans que leurs parents s'inquiètent du contenu des jeux ou s'intéressent à leurs émotions en général.
Certains commentateurs ont pointé du doigt l'absence des pères dans les témoignages des parents de ces jeunes. Selon votre expérience, y a-t-il un lien entre l'absence de l'autorité parentale (et souvent paternelle) et l'hyperviolence ?
Il se peut qu'on ait un excès de violence paternelle, car 80 % des pères des mineurs violents ont commis des violences conjugales devant l'enfant petit ou l'ont frappé directement, et, dans ce cas, même quand ils ont quitté tôt le foyer, ils gardent un fort pouvoir attracteur pour l'adolescent, même s'ils sont en prison. Cette violence intériorisée par le jeune devient constitutive de son identité. Soit d'autres pères, immigrés, confrontés à l'inadéquation de leur modèle de rôle de père avec notre société, baissent les bras, et l'enfant ne rencontre alors pas de limites éducatives cohérentes, pas plus qu'avec certaines mères qui se laissent apitoyer par un garçon qu'elles idolâtrent. Leur enfant ne désobéit pas, car il ne sait pas ce qu'est obéir. D'autres mères, même seules, transmettent la nécessité de respecter les lois.

Les éducateurs se trouvent souvent assez démunis face à cette hyperviolence. Faut-il aller plus loin dans la répression et traiter ces jeunes non plus comme des enfants, mais des adultes (et donc en finir avec l'ordonnance de 1945) ?
Les mineurs commettent de plus en plus jeunes des violences de plus en plus importantes, avec un fort sentiment d'impunité. Un adolescent qui a matraqué un adulte et tenté d'étrangler un autre jeune me garantit: «Je sais que je n'irai pas en prison, même si ce que je fais est grave.» La violence a changé, nos lois doivent donc changer de paradigme. Il faut mettre la victime au centre et la peine doit être proportionnelle aux dommages qui lui sont causés. Pour cela, l'excuse de minorité doit être ramenée à 15 ans. Toute atteinte à l'intégrité physique d'autrui doit entraîner une peine de prison ferme de 15 jours minimum, assortie d'un sursis conséquent. La sanction n'est pas que répressive, elle fait partie de l'éducatif. Le nouveau code de la justice des mineurs ignore volontairement ces principes, ce qui diminue fortement l'efficacité des efforts déployés par les professionnels, police incluse.