Il est venu dans ma lunette, comme ça, j'étais si jeune, encore, il sortait d'un talus, le pas lent, gracieux comme un félin, son corps long ondulait à sa marche, il était beau, voilà, de cette beauté émouvante, céleste, qui vous laisse à perpétuité sa marque, qui devient, pour vous, la mesure de toute grâce, le canon pur des grandeurs, et tout, ensuite, se vit dans le rapport à ce moment, cet instant vécu au ciel, oui, qui vous arrache une seconde, peut-être, aux lourdeurs si mortelles, si étouffantes, du sol, et dont le souvenir, s'il vous épaissit d'un orgueil infini, se décante vite en amertume, car il a infusé, en vous, ce poison bileux des comparaisons, oui, vous avez la certitude d'avoir vu, intensément vécu, la cime de votre vie, et ne vous reste donc que la mémoire de sa gloire, ce cerf qui vous est passé devant, grand, sûr de lui, qui a raidi son cou et vous a toisés, vous et votre fusil, très pathétiquement, et il vous a fait baisser votre arme, comme l'hommage rendu au premier saint, vous avez reconnu, en lui, l'éloge fait au monde, la vanité même des beautés naturelles, et rien ne vous autorise, vous le savez, à porter ombrage à cette peinture si noble, non, votre condition vous l'interdit, définitivement, alors vous regardez ses bois passer, ses quatorze cors, parfaitement symétriques, hauts, puissants d'envergure, voilà, devant vous, le monarque si bien couronné des forêts, vous n'avez pas tiré, et vous ne tirerez jamais, de votre vie, sur son espèce, promesse est faite, car où qu'il se trouve aujourd'hui, ce cerf, vous sentez que du sommet de ses beautés, il vous observe, il a obtenu, pour lui et tous les siens, d'être gracié par vos balles

Aère.

Non, je dois rédiger d'un trait, c'est une course de vitesse, car le souffle se perd vite, ah oui, au moindre arrêt, à la première halte, il se dissipe, et vous ne savez plus écrire

C'était magnifique crayon.
Merci.