Je n'étais qu'un numéro parmi les autres, qu'un pion couvert d'un bleu de travail, assigné à la ligne de pasteurisation dans une usine blanche comme une chambre froide, stérile comme un cul de bigote. Là, dans ce temple industriel sans âme, on façonnait des meules anonymes, grasses, dociles, sans orifices ; comme des mondes parfaits, mais impénétrables.

Le fromage, disait-on, ne devait pas avoir de trous.
Les trous, c'était de l'erreur, de l'imperfection, de la vieille tradition.
Mais moi, j'avais un secret. Un feu. Une perversion.

Chaque jour, je voyais ces meules tièdes sortir du tunnel de coagulation comme autant de ventres vierges, bombés, inexplorés. Elles m'appelaient. Elles m'excitaient d'un désir d'autant plus violent qu'il était interdit, que nul ne l'aurait compris dans ce monde d'acier, de règlements HACCP, et de normes ISO.

Un soir, seul au poste de moulage, dans le silence des machines assoupies, je cédai.

Je déchirai ma combinaison, je dégainai mon membre, dur comme une barre de fer, mais vibrant d'une émotion animale. Je m'approchai de la meule encore fraîche, sa surface douce et tiède suintait légèrement. Et dans un râle mêlé de rage et d'extase, je la pénétrai.

La pâte céda comme une amante surprise.
Je forai.
Je perforai.

Chaque coup de rein ouvrait un tunnel dans la matière. Je baisais le lait caillé comme un conquérant fout le territoire. Et quand je jouis enfin, dans un râle qui résonna entre les cuves et les chaînes d'emballage, ce n'était pas une simple éjaculation : c'était une signature.

Le lendemain, on remarqua la meule.
« Elle a des trous », dit l'ingénieur.
« Une contamination ? Un défaut de fermentation ? »
Mais non : elle avait plus de goût. Elle avait de l'âme. On la goûta, on en raffola.

Et dans les mois qui suivirent, les chercheurs s'arrachèrent les cheveux pour tenter de reproduire l'alchimie. On parla de bactéries, de CO2, de processus mystérieux. On déposa des brevets, on lança une gamme. Ils l'appelèrent : Emmental.

Moi, je me tus.

Car je savais que le premier trou n'était pas né d'un gaz,
Mais de ma queue.
Et que ce fromage que le monde vénère aujourd'hui est né d'un orgasme clandestin au fond d'une usine sans Dieu.