C'était un beau jour, dans un grand magasin de Brest. Une file de clients attend pour passer à la caisse et, dans cette file se suivent un ménage de personnes âgées, une jeune femme accompagnée de son gamin, hyperactif comme on excuse de nos jours -- comprenez insolent et totalement indiscipliné -- et enfin un autre ménage composé d'un géant noir (il mesure plus de deux mètres de haut et jouit d'une masse supérieure à cent vingt kilogrammes) et de sa femme, noire elle aussi. Dans la file, le gamin s'agite, s'impatiente et, par à coups, pousse le chariot de sa maman. Ce chariot vient ainsi heurter les jambes de la vieille dame devant lui. Le vieux monsieur explique gentiment au garnement qu'il fait mal à sa femme, qu'elle a des varices et qu'il risque de la blesser. Le gamin lui répond par une grimace et pousse de plus belle le chariot dans les mollets de la pauvre dame. Alors le vieux monsieur se fâche et interpelle la mère :
-- Mais faites quelque chose, je vous prie, Madame, sinon votre fils
finira par blesser ma femme ! »
La jeune maman qui porte une superbe veste de fourrure et qui visiblement sort de chez le coiffeur lui répond avec désinvolture :
-- Fichez-lui donc la paix, il vit sa vie ! Et si vous n'êtes pas content, vous n'avez qu'à aller à une autre caisse. »
Sans mot dire, le géant noir prend un pot de confiture de fraises dans son propre chariot, l'ouvre et le vide sur la tête de la dame qui se demande ce qui se passe et qui se met à hurler :
-- Mais qu'est-ce que vous faites ? vous êtes fou ! »
Et le noir avec un immense sourire :
-- Je vis ma vie, Madame ! »
À ce moment quelqu'un commence à applaudir dans la file, puis toute la file s'y met, et les files voisines également ; et la petite dame honteuse n'a d'autre recours que de prendre la fuite son garnement sous le bras, sous les lazzis des assistants.
J'ai déjà publié cette histoire ici même en 2009, et je vous la livre à nouveau pour le sourire qu'elle fait monter aux lèvres, et pour faire réfléchir un peu au seuil d'une nouvelle année scolaire. On pourrait bien sûr se demander ce qui serait arrivé si la femme généreusement confiturée avait été noire, et le géant couleur de blé mûr : notre société suicidaire aurait instruit un procès, requis une peine exemplaire, enfermé comme socialement pervers un raciste de la plus exécrable espèce. Heureusement, le crime a eu lieu « dans le bon sens » et il est permis d'en sourire !
D'en sourire et d'en tirer leçon sur l'objectif vrai de l'éducation et de l'instruction. La définition de la barbarie est d'être l'état d'une société dans laquelle il n'y a pas d'éducation : pas de fin dernière enseignée, pas de règle morale objective exigée, pas d'apprentissage des vertus imposé par voie d'autorité, pas de bons usages transmis. Chaque génération repart de zéro, et ne va pas très haut.
Cette barbarie se manifeste triplement : par la méconnaissance du passé et le rejet de ses leçons, par le mépris du prochain (quand on ne le craint pas !) et plus encore par l'ignorance du bien commun.