[WOKE] IA et sensitivity readers : un cocktail littéraire impersonnel

OP
JV

JVCandauliste

il y a 7 mois

L'intrusion de l'IA dans le paysage littéraire met le plus souvent sur le marché des textes écrits à la manière de ChatGPT ou autres robots, c'est-à-dire des textes les plus aseptisés possibles et capables de convenir à tous, devenant le sésame littéraire comme sous l'effet des sensitivity readers.
Cette tendance, venue des États-Unis, consiste à détecter et à gommer des phrases ou des situations embarrassantes pour certains lecteurs ; elle est désormais de plus en plus employée par les maisons d'édition afin d'éviter toute agitation médiatique lors d'une parution.
Plusieurs auteurs ont vu en effet leur texte passer sous la plume de relecteurs d'un nouveau genre. Tel est le cas, par exemple, de l'autrice Daphné Palasi Andreades avec son roman Brown Girls publié en 2023, qui raconte la diaspora philippine aux États-Unis.

Afin d'éviter toute stigmatisation, le titre original n'a pu être traduit littéralement en français. Un an après sa publication originale, l'éditrice lui a préféré Les Filles comme nous.

Les romans contemporains ne sont pas les seuls à être revisités, les écrits des certains auteurs classiques passent aussi au crible de la réécriture à l'instar de ceux de Rohald Dahl ou d'Agatha Christie dont des passages ont été modifiés et réécrits. Le très célèbre roman policier Dix petits nègres, écrit en 1938 et vendu pourtant à plus 100 millions d'exemplaires dans le monde, est subitement devenu en 2020 Ils étaient dix.
Ces exemples révèlent qu'une mutation se produit dans le domaine littéraire. Avec l'IA et les sensitivity readers, une partie des professionnels du livre semble avoir désormais recours à une stratégie d'évitement afin d'adapter leur politique éditoriale à un marché minutieusement balisé.

Il ne s'agit plus de rechercher l'originalité ou la surprise et encore moins de choquer voire provoquer le scandale comme cherchaient à le faire autrefois certains éditeurs. Conscients de la manne financière que pouvait procurer une polémique constructive, des éditeurs, comme Bernard Grasset ou encore René Julliard n'hésitaient pas à publier des romans capables de bousculer les mentalités à l'instar de la jeune Françoise Quoirez, plus connue sous le nom de Françoise Sagan dont le mince roman Bonjour tristesse parut en 1954 fit d'elle une romancière à contre-courant. « Le scandale c'est le talent, quand les gens sont attrapés directement par les cheveux et qu'on les frappe par une phrase » disait-elle dans un entretien mené par André Halimi en 1973.

Désormais, il s'agit au contraire d'être le plus policé possible afin de convenir à tous les lecteurs, à toutes les sociétés pour ne pas déranger ni froisser et encore moins critiquer.

En s'inféodant aux intelligences artificielles et aux sensitivity readers, le marché du livre semble à présent « éviter les idées PROBLEMATIQUES, le MALAISE […] le RISQUE ». C'est l'idée directrice du roman intitulé Sensibilités écrit par Tania de Montaigne, dont l'une des publications a aussi fait l'objet d'un important remaniement par des « lecteurs en sensibilité » :

« C'était ça la clé : ne blesser personne, lisser les aspérités pour permettre aux lecteurs d'être au mieux, d'être BIEN. […] La clé était de parvenir à désactiver les mots et les idées problématiques pour en offrir une version équivalente et inoffensive. Ne rien proposer qui puisse donner prise à l'OFFENSE. Surtout, que personne ne soit AGRESSÉ. »

Devant ce filtrage à coups de prompts et de relectures démesurées, il est possible de se demander si l'intelligence artificielle, sans oublier les sensitivity readers, ne représenteraient pas au fond une forme de censure. N'assiste-t-on pas désormais à une régulation du marché littéraire dont l'objectif serait de fabriquer une littérature monocorde et éloignée de toute singularité ?

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C'est la question que se pose également Antoine Gallimard, suite à son expérience avec Llama, l'IA de Méta, qui refuse d'écrire « à la manière de Michel Houellebecq » estimant que les propos de cet auteur français, pourtant de renommée mondiale, sont trop injurieux pour être générés. Ce refus de la machine de créer des textes sujets à la polémique semble révéler « un modèle de société qui ne fait pas grand cas de la complexité de l'expérience humaine et qui s'arroge le droit, depuis la côte ouest des États-Unis, de dire ce qu'il est bon ou ce qu'il n'est pas bon de penser », dénonce le célèbre éditeur.

OP
JV

JVCandauliste

il y a 7 mois

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