La maison était silencieuse, à part le goutte-à-goutte agaçant d'un robinet mal fermé dans la cuisine. Camille, épuisée par une journée interminable, traînait des pieds dans le couloir sombre vers la salle de bain. La lumière faiblarde du plafonnier dansait sur les murs carrelés, et l'air semblait étrangement lourd. Elle n'y fit pas attention. Tout ce qu'elle voulait, c'était se laver le visage, se brosser les dents et s'écrouler dans son lit.

Elle entra dans la salle de bain, ferma la porte par réflexe et s'approcha des toilettes pour un dernier passage avant de dormir. Elle souleva le couvercle, s'assit… et se figea.

La cuvette était tiède.

Pas brûlante, pas chaude, mais tiède. Une chaleur subtile, presque vivante, comme si quelqu'un s'y était assis juste avant, pendant des heures, imprégnant la porcelaine froide de sa présence. Mais elle vivait seule. Personne d'autre n'était dans la maison depuis que sa colocataire avait déménagé, des mois plus tôt. Elle vérifia la porte : verrouillée. Les fenêtres ? Fermées, comme toujours. Son pouls s'accéléra.

« C'est rien », marmonna-t-elle, la voix tremblante. « Peut-être… le chauffage au sol ? » Mais elle savait que c'était ridicule. Pas de chauffage au sol ici, et la salle de bain était toujours glaciale en cette fin d'automne. Elle se leva d'un bond, tira la chasse comme pour effacer cette sensation bizarre. L'eau tourbillonna bruyamment, mais le son ne couvrit pas le malaise qui s'installait.

Elle tenta de se rassurer. Un problème de plomberie, peut-être ? Une canalisation chaude ? Elle n'y connaissait rien, mais s'accrocha à cette idée. Elle éteignit la lumière et fila dans sa chambre, évitant de regarder derrière elle.

Le lendemain matin, Camille se réveilla avec une boule au ventre. Elle avait mal dormi, troublée par des rêves flous de silhouettes assises dans l'ombre, leurs contours se fondant dans les murs. Elle se força à sourire en préparant son café, chassant ces idées absurdes. Mais quand elle retourna dans la salle de bain, son estomac se noua.

Elle s'assit, et là, encore, cette chaleur. Plus forte, presque… moite. Elle bondit, le souffle court, et inspecta la cuvette. Rien. Pas une trace, pas une odeur, rien d'anormal. Juste cette chaleur inexplicable qui semblait vibrer sous ses doigts lorsqu'elle effleura la porcelaine.

« Bon, ça va », grogna-t-elle. Elle attrapa son téléphone et chercha frénétiquement sur Internet : « cuvette toilettes tiède raison ». Les résultats étaient nuls. Des histoires de tuyaux mal isolés, de thermostats capricieux ou des blagues débiles sur des fantômes. Rien de sérieux. Elle appela un plombier, qui promit de passer dans l'après-midi.

En attendant, elle évita la salle de bain. Elle alla aux toilettes du café du coin, prétextant une urgence auprès de ses collègues. Mais chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle sentait cette chaleur, comme une présence invisible qui la suivait.

Le plombier, un type bedonnant nommé Gérard, arriva à 16 heures. Il inspecta la salle de bain avec une nonchalance exaspérante, tapotant les tuyaux et vérifiant le chauffe-eau. « Rien d'anormal », conclut-il en haussant les épaules. « Vous savez, des fois, on imagine des trucs quand on vit tout seul. »

Camille ravala sa colère, le remercia et le raccompagna. Seule, elle retourna dans la salle de bain, bien décidée à comprendre. Elle s'agenouilla près des toilettes, examinant tout. Sous la cuvette, elle repéra une fine fissure, presque invisible. Elle y passa le doigt… et le retira vivement. La fissure était chaude, palpitante, comme si quelque chose vivait là-dessous.

Cette nuit-là, elle ne dormit pas. Elle barricada la porte de la salle de bain avec une chaise et s'enferma dans sa chambre, un couteau de cuisine à portée de main. Mais vers 3 heures du matin, un bruit la fit sursauter. Un gargouillement sourd, venant des toilettes. Puis un frottement, lent, comme si quelque chose glissait contre la porcelaine.

Tremblante, elle ôta la chaise et ouvrit la porte. La cuvette luisait faiblement dans le noir, comme éclairée de l'intérieur. Une odeur âcre emplissait l'air. Elle alluma la lumière, et la lueur s'évanouit, mais la chaleur… elle était partout, oppressante, comme une main invisible.

Le lendemain, Camille appela un autre plombier. Il arriva, vérifia tout, et haussa les épaules. « Vous savez, des fois, les vieilles maisons, ça fait des trucs bizarres. Peut-être une canalisation qui passe trop près d'un tuyau chaud. » Il proposa de changer la cuvette, mais Camille refusa. Elle n'avait plus envie de dépenser un centime pour cette horreur.

Elle essaya de vivre avec. Elle évitait de s'asseoir trop longtemps, tirait la chasse deux fois, vérifiait la cuvette comme une parano. Mais la chaleur ne partait pas. Parfois plus forte, parfois à peine perceptible, mais toujours là. Elle chercha sur Internet, encore et encore, mais ne trouva rien. Elle demanda à des amis, qui rirent en disant qu'elle devait « arrêter les films d'horreur ».

Un jour, elle craqua. Elle acheta une nouvelle cuvette, la fit installer. La chaleur disparut. Et c'était tout. Pas d'explication, pas de monstre, pas de révélation. Juste une cuvette tiède, pendant des semaines, pour rien. Elle se sentit ridicule, mais le malaise resta, comme une tache qu'on ne peut pas nettoyer.

Camille déménagea quelques mois plus tard. Elle ne parla jamais de l'histoire à personne. Mais parfois, en allant aux toilettes, elle pose la main sur la porcelaine avant de s'asseoir. Juste au cas où.