La cinquième réminiscence de la bête

OP
M3

Mangeur3H

il y a 3 mois

Les rues ne sont plus peuplées d'hommes, mais de spectres. Ce ne sont pas les fantômes des morts, mais les âmes éteintes des vivants. Leurs corps errent, vides, mécaniques, animés par une force qui ne vient pas d'eux, un élan brisé. Ils avancent sans but, consomment sans faim, parlent sans voix. Ils ne sont plus eux-mêmes, ils sont le reflet d'un monde en décrépitude, un monde qui s'effondre sous son propre poids.

Leur folie est devenue la norme, leur aliénation, une loi. Ils ne sont plus qu'engrenages dans une grande machine qui tourne sans fin, qui broie tout ce qui s'écarte, tout ce qui pourrait lui rappeler qu'un jour, elle n'existait pas. Ils ont peur des errants, de ceux qui refusent cette existence de rouille et de silence. Ils les haïssent, mais leur haine n'a pas d'âme. Ce n'est pas la colère d'un être conscient, mais l'instinct d'un mécanisme qui rejette l'anomalie.

Mais l'homme n'est pas une machine. Il est fait pour s'élever, pour brûler d'une flamme qui consume et éclaire, pour marcher sans savoir où mènent ses pas, simplement parce que marcher, c'est vivre. Celui qui s'écarte du troupeau ne le fait pas par orgueil, mais par nécessité, parce qu'il ne peut pas faire autrement qu'être lui-même.

Et c'est là que s'effondrent les illusions : il n'y a pas de différence entre l'égoïsme et l'altruisme, entre donner et prendre, entre le moi et le monde. Celui qui comprend cela ne se pense pas comme un individu isolé, mais comme une expression du Tout, une vague dans l'océan. Il agit pour lui, et en agissant pour lui, il agit pour le monde, car il est le monde qui s'expérimente lui-même.

Mais les fantômes ne le voient pas. Ils ne voient que des frontières, des oppositions, des dualités qui n'existent que parce qu'ils ne savent plus voir autrement. Ils pensent en lignes droites, alors que tout est cercle, que tout se rejoint, que tout est Un. Leur regard est un écran brisé qui ne reflète plus rien.

Alors faut-il les combattre ? Non. Un spectre ne se combat pas. Il ne ressent pas les coups. Il ne peut être vaincu, car il est déjà mort. La lutte est vaine, car elle ne fait que nourrir la machine. Il n'y a rien à renverser, rien à briser. Il y a seulement à être.

Être une faille dans leur monde d'acier et de silence. Être un souffle qui traverse les ruines et les ébranle sans jamais s'y heurter. Être une étincelle dans la nuit, une flamme que leur vent ne peut éteindre.

Car même si tout semble sombrer dans le fiel et l'oubli, il restera toujours des braises sous les cendres. Et tant qu'il y aura des êtres pour brûler, il y aura une chance d'embraser à nouveau le monde.